D’aucuns disent qu’il est visible depuis l’espace ou qu’il est le seul désert d’Europe Occidentale. Si ces affirmations semblent un peu farfelues, une chose est sûre : le désert des Agriates est un des joyaux de la Corse. Alors, après notre série estivale sur le Cap Corse embarquez pour les Agriates, terre contrastée qui cache bien son jeu.
A cheval entre le Nebbiu et la Balagne (deux très belles micro-régions de l’île) on trouve un territoire exceptionnel aux paysages uniques où se mêlent zones arides, plages idylliques, marais, maquis et forêts : les Agriates. Ce sont près de 15 000 hectares de terre et 37km de côtes vierges qui composent ce fameux désert, bordé par la chaîne montagneuse de la Serra di Tenda et de la mer Méditerranée. La rivière du Liscu par son lit tranquille découpe en deux parties plus ou moins égales (orientales et occidentales) ce grand territoire. La partie occidentale offre un relief montagneux et arrondi avec plusieurs petits sommets. Le secteur oriental est lui moins accidenté, principalement composé de roches granitiques il offre un relief plus plat dont certaines portions sont encore cultivées à ce jour.
On l’appelle communément, à tort, le « désert des Agriates ». L’étymologie de son nom évoque pourtant la fertilité et plus particulièrement les terres agraires propices à la culture et à l’élevage. Les Agriates sont loin de l’image que l’on se fait naturellement d’un désert avec du sable à perte de vue, l’absence presque totale de végétaux et une aridité à toute épreuve. Ici la végétation, bien présente, est adaptée aux conditions climatiques locales. On y retrouve un concentré d’essences traditionnelles du maquis méditerranéen et corse comme : de l’arbousier, de la bruyère (et son odeur si caractéristique), de la myrte, du chêne vert et de l’olivier. Mais aussi du pin maritime et pin laricio (notre fameuse espèce endémique) seuls vestiges des plantations réalisées au cours du XXème siècle.
Vous le savez, nous aimons bien plonger dans le passé historique des lieux et des destinations que nous évoquons dans nos articles et le « désert » des Agriates n’y échappe pas. Pour comprendre comment les Agriates sont passées d’une région agricole importante à ce qu’elles sont aujourd’hui, il faut revenir plusieurs siècles dans le passé. À cette époque la Corse est sous domination de la République de Gênes, puissant voisin aux vues expansionnistes et colonisatrices.
Les Agriates étaient alors, avec la Balagne, considérées comme le grenier à blé de la Corse. On y cultivait des agrumes (citron, mandarine, cédrat), de l’olive, des figues, du blé, des céréales, de l’amande, etc. La majeure partie du territoire était alors recouverte de terres agricoles qui servaient à la fois à nourrir l’île, mais aussi la métropole (Gênes). Les cultivateurs arrivaient en bateau du Cap Corse (Nonza, Centuri, Farinole), de Balagne ou de Saint-Florent, pour exploiter les terres de juin à octobre. Ils y restaient jusqu’aux moissons puis rentraient chez eux pour les défrichages, les labours et les semailles d’automne.
Au même moment les éleveurs, alors dans les hauteurs, descendaient en transhumance dans la plaine pour passer l’hiver. Un curieux ballet prenait alors place avec le croisement des cultivateurs et des éleveurs. De leurs rencontres (parfois houleuses) naissaient des échanges de leurs produits respectifs, du fromage contre du blé ou de l’huile d’olive. Une fois les cultivateurs partis, les éleveurs avec leurs bêtes prenaient possession des terres pour l’hiver, sous le regard attentif des gardiens dépêchés par les agriculteurs pour s’assurer que les bêtes ne détruisent pas les cultures.
Ouvrons une parenthèse avant de continuer notre histoire : Pour s’abriter, cultivateurs comme éleveurs construisirent des « pagliagjhi » (ou paillers en français), des petites habitations en pierre sèche avec toit arrondi ou terrasse. Ils servaient d’habitation, mais aussi de bergerie et d’entrepôt pour stocker le blé, le foin et les outils. Très « minimalistes » et rustiques les pagliagjhi étaient composés d’une pièce unique, fermée par une seule porte.
Si la majeure partie des pagliagjhi dans les Agriates comme dans le reste de l’île, a été laissée à l’abandon, nombreux sont ceux qui sont encore en bon état ou qui ont même été restaurés et aménagés en gîtes. C’est notamment le cas des pagliagjhi de Ghuignu, du Conservatoire du littoral, qui sont d’authentiques habitations rénovées pour accueillir des clients dans un cadre exceptionnel proche de la mer. Si l’envie d’en profiter vous prend, sachez qu’il va falloir être patient, en raison de la crise sanitaire ils ne sont malheureusement pas ouverts. Rien ne vous empêche néanmoins de venir admirer ces étonnantes constructions, à même la roche pour certaines, et pourquoi pas piquer une tête dans l’eau cristalline avoisinante.
Maintenant que la parenthèse est fermée, revenons à nos Agriates. Les théories sur la transformation que subirent ces terres sont nombreuses. On évoque en général les famines et le retrait des populations de la plaine comme causes principales. Les cultivateurs de la plaine auraient ainsi quitté les opulentes et riches terres des Agriates pour gagner la montagne et échapper aux invasions barbaresques que la Corse subissait alors régulièrement depuis la chute de l’empire romain. Mais ce n’est pas tout, un élément (poussé par la main de l’homme) est également responsable de ces transformations : le feu.
Pour pratiquer l’agriculture l’homme a besoin de modifier le paysage et l’environnement qui l’entoure. Or, une fois les terres agricoles abandonnées il ne reste plus de rempart naturel contre les incendies, qu’ils soient de la main de l’homme (écobuage, brûlis, criminels) ou du fait de mère nature. Les Agriates nous apprennent ici une leçon ô combien importante : les activités humaines modifient souvent en profondeur l’équilibre naturel, mais la nature finit toujours pas reprendre ses droits.
Voilà, le premier article de notre série sur les Agriates touche à sa fin. Vous en savez désormais davantage sur ce « désert » qui n’en est pas vraiment un, où se côtoient maquis, forêts, marais, rivières, plages paradisiaques, zones arides et bien plus encore. Avant de se retrouver le mois prochain pour notre second article sur les Agriates, voici comme d’habitude une liste de sujets qui devraient vous intéresser : partie 1 et partie 2 sur le cap Corse, histoire et immanquables ; Les plus belles rivières de Corse ; L’extrême Sud de la Corse ; Voyager en famille, rien de plus facile ; La Corse en piéton et pourquoi pas ?